Un nouveau reportage pour la radio AlterNantes: j'ai découvert une association d'équithérapie, EquiThé’A, à Bouguenais: ils permettent à des personnes handicapées ou en difficulté d'entrer en contact avec le cheval, avec une équitation adaptée à leurs problèmes, aidés par des travailleurs sociaux, des infirmiers, éducateurs spécialisés, kinés, et par une trentaine
de bénévoles.
http://www.alternantesfm.net/emissions/emissions-speciales/lequitherapie-lassociation-equithea-et-les-ecuries-du-clos-a-bouguenais/
Des vieux dans mes yeux...
...et autres chroniques sociales du quotidien nantais
lundi 16 novembre 2015
mardi 2 juin 2015
Docu radio: Jean-Auguste, sans-abris
J'ai réalisé, pour la radio Alternantes, l'interview d'un jeune SDF nantais, Jean-Auguste. Un mec attachant, qui raconte ses quatre années dans la rue en toute simplicité. J'ai pris beaucoup de plaisir à recueillir son regard sur cette vie marginale, un regard lucide et plein d'optimisme.
On peut l'écouter en podcast ici:
http://www.alternantesfm.net/podcasts/?powerpress_pinw=10453-podcast
On peut l'écouter en podcast ici:
http://www.alternantesfm.net/podcasts/?powerpress_pinw=10453-podcast
jeudi 30 avril 2015
Elimination
Vous seriez
étonnés de voir combien de conversations, en maisons de retraite,
tournent autour du pipi et du caca. En langage médical, on appelle
ça l'élimination. C'est un sujet crucial pour certains résidents,
une source d'intérêt quotidiennement renouvelée, un cheval de
bataille pour les plus concernés. Les soignants ont évidemment leur
rôle à y jouer.
C'est que l'élimination est parfois un facteur à surveiller, au même titre que le poids ou la température. L'hiver, nous sommes particulièrement vigilants aux symptômes de la gastro-entérite, une calamité qui se propage dans les EHPAD comme les dix plaies d'Égypte. Ma soeur (qui est psychologue en maison de retraite) pense que les résidents se réapproprient nos préoccupations de soignants.
Prenez madame Leduc, par exemple: très préoccupée par l'aspect de sa production de selles quotidiennes, elle m'invite fréquemment à en regarder la teneur. C'est toujours avec un grand intérêt qu'elle recueille ma description, qu'elle ne manque jamais de commenter ("Ha c'est bien, vous le direz à l'infirmière?")
Madame Mangin me détaille chaque jour, avec élégance, la fréquence de ses "matières". J'ai droit à un descriptif en règle de la moisson du jour, petites crottes bien fermes le plus souvent. Mais il arrive que le fruit de ses entrailles soit mou et malodorant, ce qui la plonge dans une humeur morose.
Heureusement, la plupart des résidents m'épargnent les détails. Ils se contentent de signaler les dysfonctionnements: faible productivité, ralentissements dans les canaux, flots abondants et nauséabonds, difficultés a expulser...
C'est que l'élimination est parfois un facteur à surveiller, au même titre que le poids ou la température. L'hiver, nous sommes particulièrement vigilants aux symptômes de la gastro-entérite, une calamité qui se propage dans les EHPAD comme les dix plaies d'Égypte. Ma soeur (qui est psychologue en maison de retraite) pense que les résidents se réapproprient nos préoccupations de soignants.
Prenez madame Leduc, par exemple: très préoccupée par l'aspect de sa production de selles quotidiennes, elle m'invite fréquemment à en regarder la teneur. C'est toujours avec un grand intérêt qu'elle recueille ma description, qu'elle ne manque jamais de commenter ("Ha c'est bien, vous le direz à l'infirmière?")
Madame Mangin me détaille chaque jour, avec élégance, la fréquence de ses "matières". J'ai droit à un descriptif en règle de la moisson du jour, petites crottes bien fermes le plus souvent. Mais il arrive que le fruit de ses entrailles soit mou et malodorant, ce qui la plonge dans une humeur morose.
Heureusement, la plupart des résidents m'épargnent les détails. Ils se contentent de signaler les dysfonctionnements: faible productivité, ralentissements dans les canaux, flots abondants et nauséabonds, difficultés a expulser...
Certains
consomment des laxatifs comme d'autres des bonbons, aiment aussi les pruneaux en dessert. À l'inverse, en
période de gastro-entérite, le riz envahit les assiettes. La
tendance varie, mais le fond reste. L'élimination en maison de retraite, c'est un peu
comme la pluie et le beau temps: un sujet de conversation prisé et
passe-partout.
mardi 14 avril 2015
Petites maltraitances quotidiennes
Noter une tache d'urine sur un drap
ou un vêtement, faire comme si on n'avait rien remarqué
Pour le petit déjeuner d'une
personne en besoin d'"aide totale aux repas", mélanger ses
tartines au café pour que ça "passe" plus vite
Être poli mais suggérer par son
langage corporel qu'on est pressé, qu'on n'a pas que ça à faire
Coucher un résident dès 17 heures
en sachant que sa famille ne vient jamais et ne pourra pas protester,
pour prendre de l'avance sur son travail; traiter différemment les
résidents en fonction de la présence, l'exigence et la vigilance de
leur famille
Parler à son collègue sans faire
attention au résident auquel on est en train de donner à manger;
faire une toilette entière sans avoir accordé un regard au résident, ni une parole autre qu'une instruction
Gronder une personne qui a renversé
son verre ou fait pipi par terre, ou s'est mise en pyjama juste avant
le déjeuner, ou se montre impatiente, ou...
Répondre à une sonnette au bout
d'une heure
Servir un plat tiède ou froid
Ne pas adapter son volume sonore en
fonction du degré de surdité du résident puis considérer qu'il
est d'accord avec ce qu'on a dit
jeudi 19 mars 2015
Au Cantou*
-Dou dadou dadou...
annonne madame Boileau.
-Y a-t-il un docteur dans
la salle? demande madame Loiseau.
-Ga gouga gouga...
vocalise madame Boileau.
-Notre Père, qui êtes
aux cieux... entamme madame Debret.
Madame Loiseau s'enquiert
toujours d'un docteur. Je m'approche: "Que se passe-t-il?"
S'ensuit une explication confuse et préoccupée avec une histoire de
vêtements, de salle de bain et de WC. "Vous comprenez, le
pantalon, c'est sale et donc j'ai mis le, enfin la, mais bon c'est
pas pratique." J'opine au fur et à mesure et remarque que
madame Loiseau n'a plus ses chaussures. Je prends mon air le plus
professionnel pour annoncer que ce qu'on va faire c'est qu'on va
attendre de voir, parce qu'on ne sait jamais, et puis que voulez-vous
y faire de toute manière, hein? Madame Loiseau approuve, rassurée.
-Don pardon pardon
pardon...
-Pardonne-nous nos
offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés...
-Ha la barbe! râle
monsieur Javert. Encore elle!! Tais-toi!
Madame Trouvé refuse de
s'attabler pour le goûter, elle ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas sortir.
"Quand est-ce que je pourrai rentrer chez moi?" J'ai de la
peine, et je ne peux pas lui expliquer qu'elle est enfermée là pour
la vie. "On ne peut pas sortir, pour des raisons de sécurité."
J'ajoute lâchement, devant sa colère: "Il faut attendre, d'ici quelques heures ce
sera bon."
-Hou wouwou wouhou
wouhou, hulule madame Boileau.
-Notre père, qui êtes
aux cieux...
-LA BARBE!
-MADAME LOISEAU! crie ma
collègue depuis la chambre de monsieur Javert. Qu'est-ce que vous avez
fait encore!
Je rejoins la collègue,
suivie d'une madame Loiseau penaude. Dans la salle de bain, les
toilettes de monsieur Javert sont bouchées par un pantalon et du
papier toilette détrempés. Le lavabo a subi le même traitement.
Les chaussures de madame Loiseau sont sagement rangées à l'entrée
de la chambre...
-Que votre nom soit
sanctifié...
C'est l'heure du goûter.
-Ga gouga gouga...
Je sors le jus de fruit.
-Ta gueule!
Je gateau les prépare.
-Quand est-ce que je
pourrai rentrer chez moi? C'est un scandale!
Les serviettes se
cachent, mais où? J'éponge l'essore, mets le frigo, prends le...
la... Ho et puis zut.
*Centre d'Animation
Naturel Tiré d'Occupations Utiles: un Cantou est un service fermé,
d'une douzaine de places en général, qui se situe au sein d'une
maison de retraite. Il est destiné à un accueil adapté aux
personnes atteintes de démences (Alzheimer et autre déficience
cognitive liée à l'âge), avec un suivi spécifique.
mardi 24 février 2015
La table des mondes parallèles
Aux repas, les résidents
sont placés en fonctions de leurs affinités et, souvent, de leurs
capacités mentales. Difficile d'apprécier le repas en compagnie
d'un gâteux quand on a toute sa tête ! Ceux qui sont lucides,
la majorité, commentent le temps, la nourriture, la famille, les
bobos, les maladies. Mais on trouve aussi des tables de personnes un
peu perdues, plus ou moins démentes, plus ou moins cohérentes, avec
des conversations parfois absurdes et décousues...
Une table est réservée
aux personnes les plus dépendantes, qu'il faut aider à manger. Les
conversations y sont quasi absentes, chacun est muré dans son monde.
Phrases incomplètes, prénoms surgis de vies passées, borborygmes,
ressassements, radotages... Le silence indifférent domine.
Cette table est un monde
à part.
Pleine de bonne volonté,
madame L. pense nous seconder en fliquant ses voisines de table. Mi
figue-mi raisin, elle gronde celles qui dévient du droit chemin.
« Elle a pas pris son cachet », dénonce-t-elle quand on
passe. Encourageante : « Allez mange Louise ! »,
sévère : « mange proprement ! », « T’en
mets partout ! »... Ses victimes restent passives et indifférentes. Madame L. était institutrice. Je l'imagine bien,
autrefois, tançant les mômes qui ne se tenaient pas bien.
Aujourd'hui, les mômes
sont décrépis, mais sur le fond, à table, c'est la même chose :
Monsieur G. met la main dans sa couche pour essayer de se gratter les
parties intimes, madame B. mange si salement qu'elle collectionne
morceaux et miettes dans son corsage (on les retrouve le soir dans les draps du lit), Madame V. verse le douteux
contenu de son verre dans son assiette, madame L. recrache ses
raisins sur la table.
Il y a aussi Madame S,
apathique, se fichant complètement de ce qu’on lui donne. Tant
mieux pour elle, d’ailleurs : elle mange mixé. Il faut la
faire manger à la petite cuiller. On met viande, légumes dans un
mixer et on sert. Insipide. On l'informe quand même, par principe,
de ce qu'elle mange : « Tenez, un peu de poisson ! »
dit-on en lui donnant une cuillerée de bouillie non identifiable. Le
« poisson » s'accompagne d'eau gélifiée*, donnée aussi
à la petite cuiller.
Madame S. ouvre
mécaniquement la bouche quand s'approche la cuiller. Quand elle
refuse obstinément d'ouvrir lèvres et mâchoires, on passe au plat
suivant. C'est la dernière parcelle de son libre-arbitre qui se
manifeste.
A côté d'elle, Madame F., toujours
placide et d'humeur égale, n'attend jamais le plat suivant :
elle oublie d'attendre. Avant même que l'entrée soit servie la
voilà partie, direction sa chambre. « Madame F., revenez
ici ! » l'interpellent, excédées, les agents de
restauration. Et de la ramener à table manu militari. Peine perdue :
à peine l'entrée avalée, elle se lève derechef. Engueulade,
retour case plat de résistance, et le manège continue jusqu'au
dessert.
Pleine d'envie d'apporter
une solution, je me suis creusé la tête pour trouver comment
respecter son besoin de déambuler sans que ça ne perturbe le repas.
Les solutions que j'ai imaginées auraient plutôt compliqué la vie
de tout le monde: lui servir à manger quand elle le veut, lui
apporter le plat là où elle se trouve... Les filles de la
restauration ne se posent pas tant de questions. Elles ont fini par
servir à madame F. son repas intégral en une seule fois,
entrée-plat-dessert devant elle, qui engloutit le tout en un quart
d'heure et repart dans une paix royale. Ça m'a fait tout drôle,
après avoir tant intellectualisé la chose, de recevoir cette leçon
de bon sens quotidien.
*L'eau gélifiée est
destinée à ceux qui ont un risque de « fausse route ».
Elle est parfumée à la fraise, à la menthe, à l'orange pour
cacher le goût de l'épaississant.
jeudi 5 février 2015
Intrusion
"Alors, quoi de neuf
à Sainte-Geneviève?" me demande madame Morel quand j'arrive
pour la toilette. "Il y a du monde, t'es allée chez Catherine?"
Le présent de madame
Morel est son passé. Elle vit sa jeunesse lointaine si pleinement,
au nez et à la barbe de notre maintenant, que c'en est réjouissant.
Dans son vieux corps tordu et paralysé, elle reste cette adolescente
sage et sans histoire, et me prend au passage pour une amie proche
dont j'ignore le nom.
Quand elle me sollicite
par ses questions, j'ai envie de la suivre. Il m'arrive pourtant
d'être trop absorbée par ma tâche et de ne pas répondre, mais je
n'aime pas cela. Cela rompt notre lien supposé et je me retrouve
dans la position d'une inconnue faisant la toilette à une absente.
J'élude souvent par des
réponses vagues du type "Oui tout le monde va bien, Catherine
va bien". Cette attitude me frustre aussi, parce qu'on n'entre
pas vraiment dans un dialogue et je reste aussi éloignée de madame
Morel que son présent l'est du mien.
Alors, un jour, je décide
de m'inviter dans sa réalité, sans aucune mauvaise intention, juste
l'envie de partager quelque chose:
- A Sainte-Geneviève?
Non je n'y suis pas allée, vous avez des nouvelles plus fraiches.
Comment va tout le monde?
- Oh ben tu sais, comme
d'habitude. Sophie a toujours des problèmes...
-Ah bon?
-Ben oui tu sais, son
genou... Elle a pas voulu aller à la mer. Il y a toujours quelque
chose qui va pas.
-Zut...
-Elle s'est fait gronder
par sa mère l'autre jour, parce qu'elle n'avait toujours pas fait
ses ourlets.
C'est ainsi que j'écoute
madame Morel me parler de connaissances "communes", de son
linge à descendre, d'Adrienne qui vient pour le goûter... Je suis
transportée dans une réalité désuète et apaisante, dans la peau
d'une lycéenne sage avec cartable et chaussettes montantes, dans la
tête d'une jeune femme apprenant l'indépendance.
La toilette se terminant,
je l'installe dans son fauteuil (elle est totalement invalide) et
m'apprête à prendre congé, mais elle me devance:
-Bon je vais y aller,
j'ai mes courses à faire. Merci pour le thé!
-D'accord, à plus tard!
-On se voit quand? Demain
c'est dimanche? On pourra manger ensemble après la messe. Je vais
demander à maman, tu vois avec ta mère?
-C'est d'accord, à
demain!
Je pars avec le plaisir
étrange de revoir ma copine le lendemain, et une vague culpabilité
à l'idée d'avoir dépassé d'indiscernables limites.
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