J'étais à la manif contre les violences policières de début novembre. J'ai proposé un article à quelques titres, mais mon approche n'était pas assez neutre. Je l'avais déjà à moitié rédigé, donc je le poste ici, histoire qu'il ne soit pas perdu. Et du coup je me suis lâchée un peu plus que pour un article "classique"!
Les manifestants prétendaient honorer
la mémoire de Rémi Fraisse, mais ils
n'ont réussi qu'à montrer un spectacle absurde, très éloigné d'un hommage. La plupart d'entre eux n'était là
que pour en découdre: une parodie de manifestation.
La manifestation avait
commencé calmement. Un hommage à Rémi Fraisse et une protestation
contre les violences policières dans le calme, au son des slogans.
"La justice assassine, l'Etat réprime!"
Les imposants barrages de
CRS, censés canaliser les quelques centaines de personnes, sonnent
assez vite comme une provocation aux yeux des manifestants qui
s'arrêtent pour les insulter. Le cortège ralentit. De premiers
projectiles sont lancés, suivis des premières bombes lacrymogènes:
le conflit est lancé. Le spectacle aussi.
Les plus vindicatifs sont
à l'avant du cortège. Les plus fleurs-bleue aussi. Dans une posture
pacifiste, ils font la morale aux CRS: "Regardez-moi avec vos
yeux, pas avec le canon de votre fusil! Vous tirez sur vos enfants!"
Certains manifestants semblent avoir un goût prononcé pour la
tragédie. "Nooooon!" hurle une jeune Bérénice à la
première bombe lacrymogène.
Plié en deux, un jeune
homme crache et faire mine de vomir; il est aussitôt entouré
d'une poignée de camarades surjouant l'affolement et l'indignation,
qui s'empressent de prendre des photos pour dénoncer ces odieuses
exactions policières.
Certains pourtant
souhaiteraient passer inaperçus. Je prends en photo un homme en
train de taguer un mur. Le foulard qui masquait son visage glisse.
Un collègue l'avertit et les deux manifestants tentent de faire
pression pour me faire effacer la photo. Comme je refuse, ils se font
plus pressants, vaguement menaçants: "T'es une balance aux
flics si tu l'effaces pas", lance l'un d'eux. "On est des
mecs gentils mais..."
Le conflit s'enracine sur
le cours des 50 Otages, où les CRS ont refoulé le cortège.
Derrière leurs boucliers et leurs casques, ils assistent,
impassibles, au manège des manifestants et répliquent quand ces
derniers se font trop téméraires.
Les magasins du
centre-ville sont en grande majorité restés ouverts. Les
consommateurs passent, sacs FNAC ou Zara à la main, et s'arrêtent
avec curiosité. Portable en main pour filmer les événements, ils
restent en général quelques minutes, hors de porté des
lacrymogènes, et commentent placidement les événements."Ils
jouent à la guerre", s'amuse un quinqua. A leur fenêtre, les riverains sont en première
loge. Mieux qu'à la télé!
Plus loin, deux jeunes
femmes, qui à leurs achats sortent visiblement de chez Séphora,
viennent malgré elles d'éprouver l'efficacité des lacrymogènes.
Les yeux rouges mais ravies de l'aventure, elles restent malgré tout pour filmer
la scène.
Les manifestants qui
n'étaient pas là pour en découdre assistent eux aussi, passifs, à
la scène. On les distingue désormais difficilement des badauds, mis
à part leurs pancartes qui remplacent les sacs de course.
Les CRS sont parvenus à
disperser les manifestants. Une demi-heure de calme relatif s'ensuit
avant que les casseurs, qui se sont regroupés au bas de la rue du
Calvaire, reprennent leur guérilla sous le regard des passants.
Quelques poubelles sont brûlées, les projectiles fusent à nouveau,
le spectacle reprend. Les fumées des feux et des lacrymogènes se
mélangent et forment des brouillards qui intensifient l'effet de
guerre et de chaos.
Devant un container
embrasé, des collégiens, hilares, font des selfies. "On est
passés là, on s'est arrêtés pour voir. Ca fait un peu guerre de
rue!" Ils ignorent presque tous la cause de l'affrontement.
"C'est bien contre les flics? Ils ont tué quelqu'un, c'est ça?"
Deux manifestants masqués
cassent méthodiquement des pavés à l'aide de grilles d'évacuation.
Je prends quelques clichés. Un soixantenaire vindicatif me fonce
dessus et me bouscule violemment: "Arrête ça!"
hurle-t-il. Les deux casseurs sont beaucoup moins agressifs et
répondent gentiment à mes questions. "On est pacifiques mais
il faut ce qu'il faut. Si on pouvait transformer tout ça en petite
révolution, ce serait bien!"
Pour la plupart des
manifestants, cette violence est nécessaire. Ils sont dans une démarche revendiquée de vengeance. "Rémi
ça aurait pu être mon pote, les flics tuent les gens. On n'a pas
d'autre choix que de répliquer."
C'est bientôt l'heure de
fermeture des magasins et le jour baisse, les rues se vident
rapidement. Les gens commencent à se lasser; remballant leurs
appareils photos, ils prennent le chemin de la maison, où ils auront
des tas de choses à raconter ce soir.