-Bonjour ma chériiiie! Ça va ma belle!
De l'index, Sonia caresse
la joue de madame F., 96 ans, qui la regarde d'un air reconnaissant. On dirait
un bébé et sa tata gâteau. Qu'est-ce que ça m'agace.
Je trouve ça un peu
dégradant et grotesque. On a beau avoir affaire à des personnes en
général diminuées, elles ont vécu une longue vie d'adulte, de
parent, d'employé, supérieur hiérarchique, patron, artisan, femme
au foyer. Une vie passée qu'on ne doit pas balayer d'un ton
paternaliste ou lénifiant.
Mais Sonia adore ses
résidents. Elle n'a pas besoin de leur passé, même s'il
l'intéresse. Elle s'intéresse surtout à leur présent; comment ça
va aujourd'hui, vous n'avez rien mangé il faut manger, tu es toute
jolie aujourd'hui.
Elle gronde
affectueusement les déraisonnables:
-Monsieur L., qu'est-ce
que vous faites là, retournez dans votre chambre!
Bizarrement certains
adorent ça... Je pense parfois avec cynisme que c'est le syndrôme
de Stockholm, tout en sachant qu'ils y trouvent en fait quelque chose
dont ils ont besoin. Il y a là une affection sincère et réciproque.
Je sais bien que Sonia a un peu raison, que je devrais un peu faire
comme elle.
Quand Sonia entre dans la
pièce, c'est comme une brise de gaieté et de fraicheur. Parfois
forcée, parfois ignorant délibérément la douleur ou la peine,
mais souvant les effaçant un peu aussi. Elle infantilise mais elle
rassure. C'est le besoin de beaucoup de résidents face à l'ennui, à
l'approche de la mort, à la maladie qui rogne leur quotidien. Elle
leur apporte ce dont ils ont besoin de sa manière concrète,
immédiate.
S'il y a bien une qualité
qui me manque dans ce métier, c'est cette aptitude à profiter de
l'instant présent, alors Sonia, au delà de l'agacement, c'est aussi
quelqu'un qui m'inspire un peu.